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Initiative économique et quartiers populaires : 10 ans de changements par Saïd BECHROURI

Saïd BECHROURI, consultant pour le COPAS, coopérative de conseil et d'accompagnement des transitions, appuie l'IREV depuis 2014 sur le développement économique urbain dans le cadre des cycles de qualification organisés à destination des professionnels des EPCI (développeurs économiques et chefs de projet politique de la ville). A ce titre, il a pu observer, sur le terrain, les changements qui s'opèrent dans les collaborations entre acteurs et les actions menées et nous livre ses impressions sous forme de billets.

Initiative économique et quartiers populaires : 10 ans de changements

Depuis près de 10 ans, l’initiative et le développement économique dans les quartiers se sont progressivement imposés comme un axe incontournable de la politique de la ville. Pour preuve ces deux dernières années ont vu se développer de nombreuses journées et séminaires sur la question. Plus concrètement, plusieurs territoires disposant de l’ingénierie nécessaire ont développé depuis 2014 une réelle stratégie de développement économique dans le cadre de coopérations entre les professionnels de la politique de la ville et ceux du développement économique, la Caisse des dépôts a renforcé son action et adapté ses organisations territoriales pour améliorer le soutien des territoires qui s’engagent dans le développement économique des quartiers.

Il est trop tôt pour savoir si ces évolutions relativement récentes vont structurellement changer la donne, mais la dynamique est intéressante à observer. Nous proposons plusieurs articles pour faire le point sur les changements que nous avons pu observer sur différents terrains, ce premier « billet » s’intéressera à deux sujets :

  • L’affirmation progressive de la question du développement économique,
  • La création d’activité dans les quartiers prioritaires.

1.1 De l’accès à l’emploi au développement économique

Pendant de nombreuses années la confusion (consciente ou inconsciente) entre la problématique du développement économique et celle de l’accès à l’emploi a été de rigueur dans le monde de la politique de la ville. L’axe développement économique et emploi était largement consacré à l’accès à l’emploi, via des mesures d’accompagnement, de formations, de reprise de confiance en soi, d’intermédiation entre l’offre et la demande. La question du développement économique n’était quasiment pas posée alors que les offres d’emplois dans le secteur marchand à but lucratif, sur les territoires les plus fragiles, devenaient de plus en plus rares. Ainsi pour répondre à un déséquilibre structurel entre les offres et les demandes d’emploi, c’est principalement sur la demande d’emploi que la politique de la ville tentait d’agir. C’est comme si en matière de lutte contre les discriminations, les pouvoirs publics agissaient uniquement sur les victimes sans agir sur les auteurs, comparaison n’est pas raison, mais cela donne une idée de la limite de l’approche qui a prévalu en matière d’emploi et de développement économique pendant de nombreuses années en matière de politique de la ville.

Si cette approche de l’axe développement économique et emploi n’est pas complétement révolue, la question du développement économique dans et pour les quartiers s’est progressivement imposée via différentes approches (soutien à la création d’activités par les habitants, dynamisation des commerces de proximité, création d’immobilier d’entreprises ou de zones d’activités…) plus ou moins coordonnées. De notre point de vue deux facteurs importants ont permis cette évolution qui reste à consolider :

  • La loi de février 2014 qui impose sans ambiguïté la nécessité d’un axe développement économique dans les contrats de ville ;
  • L’expérience de la rénovation urbaine et des différentes études menées durant le PNRU qui ont souligné la nécessité d’intervenir sur la question du développement économique, trop insuffisamment prise en compte dans les différentes opérations financées.

A cela, nous pourrions ajouter la mise en exergue, depuis une décennie au moins, des approches d’empowerment, de capacités d’agir qui amènent à envisager les habitants des quartiers non pas comme des personnes à aider mais comme des ressources pour les territoires.

1.2 La création d’activités

L’appui à la création d’activités par les habitants des quartiers, au niveau national, comme au niveau local, a été considéré comme une solution quasi naturelle à la problématique du développement économique et de l’emploi dans les quartiers. Les approches des territoires en matière de création d’entreprises ont été plus ou moins ambitieuses et contextualisées. Sur certains territoires, minoritaires, des écosystèmes de la création d’activités ont été mis en place dans ou à proximité des quartiers avec :

  • la création de structures d’incubation (incubateurs, pépinières, tiers lieux plus récemment…),
  • la création de dispositifs de repérages de porteurs de projets (Citélabs ou  dispositifs proches),
  • la mise en lien avec les dispositifs de financements et d’appui à la création de droit commun.

Ces approches ont eu plusieurs conséquences positives, d’une part, elles ont ancré dans les quartiers prioritaires des ressources pérennes en matière de développement économique qui existaient pas ou peu et permis une réelle dynamique de création d’activités dans les quartiers populaires. D’autre part, ces opérations n’ont pu être conçues que dans le cadre de partenariats entre professionnels de la politique de la ville et professionnels du développement économique dans une logique de coopération et non de prestation. Ces partenariats ont permis de sortir de la logique de programmation de la politique de la ville et d’adopter une approche d’intégration des quartiers dans les politiques territoriales de développement économique.

Sur d’autres territoires, l’approche a été plus parcellaire, ce sont souvent des actions classiques de conseil et d’accompagnement de porteurs de projets confiées à des associations spécialisées qui ont été privilégiées. Il est, d’ailleurs intéressant de noter que dans le cadre de ces actions, ce qui est valorisé, ce n’est pas forcément la création d’activités mais le parcours des publics qui, même s’ils ne créent pas, vont « rebondir » et/ou acquérir les compétences pour accéder à l’emploi. Finalement cette approche est significative de la difficulté dans certains territoires de sortir de l’approche traditionnelle de l’axe développement économique et emploi évoqué en préambule, les actions de création d’activité étant utilisées pour accompagner les publics vers l’emploi.

En tout état de cause, envisager le développement économique, uniquement via l’appui à la création d’activités par les habitants des quartiers prioritaires, quelle que soit la qualité des démarches et des porteurs ne peut suffire à développer le tissu économique d’un territoire et en faire profiter ses habitants.

En effet les créations d’entreprise dans les quartiers sont le plus souvent, étant données les ressources financières des porteurs de projet, et leurs capacités d’accès aux sources de financements des activités pauvres en emploi à court, voire à moyen terme.

La création d’emploi se fait à horizon plus lointain, pas forcément dans les quartiers prioritaires pour différentes raisons (nécessité de s’agrandir sans foncier disponible sur le quartier, nécessité de se rapprocher de centres de prise de décisions, souhait de sortir du quartier pour changer d’image…).

De fait, si la création d’activité constitue bien un levier nécessaire à activer pour des motifs différents, elle doit s’inscrire dans des démarches plus systémiques de soutien au développement des entreprises, de coopérations interentreprises à une échelle plus large que le quartier, de marketing territorial, de lien entre les créateurs et les établissements scolaires et universitaires etc. C’est uniquement à cette condition qu’au-delà des effets sur les personnes concernées par la création d’entreprises (les créateurs), les initiatives soutenues auront des effets sur l’ensemble du quartier que ce soit sur la plan économique (création de valeur ajoutée) ou sur d’autres plans (symbolique de la réussite, opportunités d’emplois, de stages de qualité…).

Saïd BECHROURI,

consultant, COPAS.