Le label Cité Educative a été mis en place en 2019 sur 80 territoires et s’est progressivement étendu. Depuis 2024, ce sont 250 territoires concernés, dont 33 dans les Hauts-de-France. Piloté par l’ANCT et la DGESCO, l’objectif est d’apporter un meilleur accompagnement des enfants et jeunes de 0 à 25 ans en favorisant les coopérations entre tous les acteurs du quartier et en mettant en cohérence les dispositifs existants. Ce programme est porté localement par une « troïka » composée de la préfecture, l’éducation nationale et la commune, et dotée d’un budget pour le financement d’actions et d’ingénierie.
La Cour des comptes reconnaît l’intérêt de la démarche pour favoriser les coopérations locales et intégrer l’éducation nationale dans l’écosystème du quartier. Elle note cependant que cette alliance repose en grande partie sur l’implication des acteurs locaux, qui sont face à la difficulté d’articuler un écosystème très complexe. Elle remarque également que le système de dotations pourrait être amélioré et les évaluations mieux exploitées.
Le label Cité éducative suppose une grande complexité du fait l’implication d’acteurs et d’institutions multiples
La gouvernance de la troïka est une aubaine pour entraîner une dynamique partenariale et inciter des institutions disposant de leurs moyens de fonctionnement propres à travailler ensemble. Cependant, cela nécessite l’établissement d’un réel dialogue, sans qu’aucun des trois partenaires ne prenne l’ascendant. Ainsi, le rapport incite à être vigilant car dans de nombreuses Cités éducatives, ces rapports sont déséquilibrés, et on peut observer l’existence de relations de domination. La coopération nécessite du temps et pour la travailler, la comitologie, bien que chronophage, est indispensable et reconnue comme telle par les acteurs interrogés par la Cour des comptes. Les cités qui connaissent déjà un contexte de dialogue interinstitutionnel facilité voient beaucoup plus facilement les partenariats se nouer sur leur territoire.
La complexité repose de plus sur la nécessité d’animer un très grand réseau d’acteurs, avec qui la vision de la cité éducative doit être partagée pour ne pas tomber dans une logique de guichet. A ce sujet, le rapport note l’importance de l’ingénierie et d’acteurs formés, afin que le fonctionnement de la cité éducative ne repose pas uniquement sur la volonté de quelques agents locaux et ne soit pas dépendant des turn-over pouvant survenir. Afin d’assurer que les actions financées soient directement en lien avec les objectifs stratégiques de la cité, de nombreux territoires privilégient l’appel à manifestation d‘intérêt plutôt que l’appel à projet.
La Cité éducative s’inscrit dans une démarche ambitieuse à destination d’un public large
Malgré l’ambition de toucher une tranche d’âge allant de 0 à 25 ans, le rapport montre que pour de nombreuses raisons, les actions des cités éducatives restent centrées sur l’école et particulièrement sur le collège, qui est placé comme chef de file dans cette alliance. On note cependant que celle-ci permet de sortir d’une vision « scolaro-centrée » et d’ouvrir l’éducation nationale sur le quartier. L’implication des lycées est plus difficile à obtenir du fait de la répartition des élèves de QPV dans différents établissements, parfois hors QPV. La tranche des 18-25 mobilise un autre écosystème d’acteurs, avec de nombreux autres dispositifs qui complexifient encore le paysage de la CE. Par ailleurs, les compétences en insertion professionnelle, emploi et lycée reviennent aux régions, qui sont les grandes absentes des CE. Quant aux 0-3 ans, ils doivent être impliqués à travers le droit commun (CAF, communes et département), mais les acteurs concernés peuvent être plus ou moins impliqués selon le contexte local.
Ainsi, le rapport de la Cour des Comptes interroge l’injonction à prendre en compte l’entièreté de la tranche d’âge des 0-25 ans et suggère de considérer ces publics comme l’ensemble des publics-cibles potentiels et de laisser à chaque territoire le soin de prioriser, afin d’éviter les effets de saupoudrage et de manque de moyens humains et financiers. Il note cependant que les transitions entre les différentes tranches d’âge pourraient être mieux travaillées, notamment entre le CM2 et la 6e.
Les actions des cités éducatives ont vocation à se pérenniser dans le droit commun, et pas l’inverse
Le rapport met en avant l’utilité des cités éducatives comme vecteur d’expérimentation et de mise en cohérence des dispositifs existants. L’objectif est de conserver à partir de ces expérimentations des types d’actions et des modes de faire qui pourront ensuite se maintenir de manière durable dans le droit commun. L’ambition de mise en cohérence a aussi vocation à mieux mobiliser le droit commun et à générer une meilleure connaissance des dispositifs existants, pour éviter les doublons et le travail en silos. Le manque de mobilisations d’autres ministères en lien (culture, santé) est un frein pour mobiliser les instances comme la CAF, ARS et DRAC, ou encore la Djepva (Direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative). Selon la Cour des Comptes, les conventions interministérielles pourraient être un levier pour impulser et faciliter l’articulation avec le droit commun et éviter les effets de doublons ou d’éviction.
Le rapport met également en garde contre les risques de prise en charge d’actions relevant du droit commun par la cité éducative. Il rapporte notamment le témoignage d’acteurs qui considèrent difficile de ne pas tomber dans la substitution du droit commun face à l’insuffisance des moyens alloués aux soins, à la protection de l’enfance et au handicap. Le même constat est fait pour les moyens alloués aux établissements scolaires, qui relèvent de l’éducation nationale et non de la cité éducative. La gestion tripartite permet cependant de pallier le risque de substitution du droit commun grâce au contrôle entre pairs.
Une démarche dont l’évaluation mériterait d’être mieux exploitée
Le rapport souligne que l’évaluation des cités éducatives pourraient être menée de manière plus efficace et mieux exploitée. En effet, la liberté laissée aux cités pour réaliser leur évaluation entraîne des disparités et rend la lecture de l’efficience et de l’efficacité réelle de la cité sur les territoires difficile à appréhender. Les résultats des évaluations sont également trop peu exploités pour conduire à une amélioration des pratiques. L’utilisation des crédits est notamment très peu documentée, ce qui ne permet d’opérer des réajustements. Cette absence d’évaluation harmonisée complique aussi l’adaptation des financements de chaque cité, dont les dotations ne reflètent par toujours les réalités et besoins des territoires.
Malgré les freins et difficultés relevées, le rapport de la Cour des Comptes met en évidence l’impact positif des Cités éducatives sur les écosystèmes éducatifs des quartiers dans les cas où l’alliance éducative a pu se développer réellement. Bien que difficile à capitaliser dans une évaluation, ce sont les expérimentations et l’interconnaissance générées par la démarche qui ont permis une évolution des pratiques et l’augmentation du bien-être des agents et des jeunes pris en charge.