Vers une action collective renforcée

Ces deux journées de colloque ont souligné la nécessité de renforcer les coopérations entre acteurs institutionnels, professionnels, associations et personnes concernées afin de consolider les politiques de lutte contre le racisme et les discriminations raciales.
Elles ont mis en lumière l’importance d’outils juridiques adaptés, d’un engagement politique fort et d’actions transversales et spécifiques permettant de rendre visibles les discriminations et de soutenir les dynamiques de transformation des pratiques professionnelles.

La première journée a été rythmée par deux tables rondes. La première a porté sur les enjeux contemporains de l’action publique antidiscriminatoire, ses outils, ses limites et les tensions politiques qui la traversent.
La seconde a interrogé les mobilisations et démobilisations, rappelant combien la lutte contre le racisme dépend de dynamiques collectives souvent mises à l’épreuve. 

La seconde journée a prolongé ces réflexions à travers huit ateliers thématiques qui ont permis aux participant·e·s de confronter leurs expériences, d’identifier des obstacles concrets et de formuler des pistes d’action.
Les discussions ont fait émerger plusieurs questionnements, parmi de nombreux autres,  tels que :

  • Comment rendre visibles des formes de racisme encore trop souvent occultées ?  ;
  •  Quels leviers mobiliser, en tant qu’élu·e pour dépasser les blocages institutionnels ?  ;
  •  Comment mieux défendre les droits dans le monde du travail et au sein des organisations professionnelles ?;
  •  Comment intégrer pleinement la lutte contre le racisme dans le champ de la santé?
  • etc.

Ouvrir un nouveau champ d’action : un travail collectif

Dans l’atelier consacré au domaine de la santé, un constat partagé s’impose : agir efficacement implique un travail collectif, fondé sur l’intégration systématique des perspectives des personnes concernées et du vécu des victimes.

L’exemple de l’association Tant que je serai noire [1] illustre cette approche. Née d’une série de podcasts, elle œuvre aujourd’hui pour créer des espaces sécurisés de parole, accompagner la réparation individuelle et collective ainsi qu'à rendre visibles des récits trop souvent ignorés par les institutions et une grande partie de la société.

Le rôle déterminant de l’engagement politique local

Dans la continuité de cette idée de coopération, plusieurs interventions ont souligné combien le soutien des élus locaux est déterminant. Lorsque les responsables politiques s’engagent et coordonnent les initiatives au sein de leurs différentes délégations, l’échange de savoirs entre professionnels, usagers, chercheurs et associations devient plus fluide.

L’exemple de la Ville de Villeurbanne illustre bien cette dynamique. Pour construire son plan de lutte contre les discriminations en santé [2], la ville a rassemblé une diversité d’acteurs du champ sanitaire lors d’un séminaire coanimé avec des chercheurs, puis a mis en place des groupes de travail permettant de confronter des expériences, d’articuler des points de vue complémentaires et de dégager des priorités d’action. Ce travail collectif a permis de poser les bases d’une approche visant à transformer les pratiques professionnelles : repérage plus fin des discriminations, meilleure prise en charge des personnes racisées ou victimes, et inscription de l’égalité comme principe structurant des politiques publiques.

Pour autant, un obstacle majeur demeure : le manque de formation des professionnel·le·s, non seulement dans le domaine de la santé, mais aussi dans le logement, l’éducation, l’emploi ou l’accès aux biens et services, continue de limiter l’efficacité des démarches engagées.

Le droit comme levier : obstacles et opportunités

Les ateliers ont rappelé que le droit constitue un levier puissant pour garantir un accès effectif aux droits des victimes de discrimination. L’importance de s’associer, de créer des réseaux et d’échanger les pratiques a été soulignée. Le Réseau pour Agir en Justice contre les Discriminations [3] (RAJD) offre un espace de partage et d'action collective entre avocat·e·s, juristes , professionnel·le·s du droit et toutes personnes expertes pour soutenir les interventions devant les tribunaux en matière de lutte contre les discriminations.

Dans cette perspective, l’association (RE)claim [4] travaille également à faciliter l’appropriation du droit par les personnes, groupes et mouvements les plus directement concernés par le racisme et les discriminations. Son action vise à renforcer leur capacité à se défendre, mais aussi à rendre visibles les formes de discriminations systémiques encore très peu traitées.
À ce titre, les analyses consacrées aux contrôles au faciès constituent un exemple éclairant de ces mécanismes systémiques. L’article de Hollo et Matari (2025) [5] met notamment en lumière la manière dont ces pratiques discriminatoires persistent malgré les dispositifs, et interroge les limites de la politique de la ville face à ces inégalités structurelles.

Un des obstacles reste le non-recours au droit. Les personnes victimes hésitent à entamer une démarche, ou l’abandonnent en cours de route. Les rapports du Défenseur des droits et de nombreuses recherches confirment cette tendance, notamment lorsque les institutions peinent à reconnaître les discriminations.

Rendre visibles les discriminations invisibilisées

Certaines formes de racisme et de discrimination raciale demeurent particulièrement peu reconnues, notamment celles qui touchent les Gens du voyage ou les personnes d’origine asiatique. Leur invisibilisation résulte souvent d’un manque de données, d’une faible prise en compte institutionnelle et de stéréotypes profondément ancrés. 

Face à cette situation, des stratégies collectives émergent pour documenter ces réalités et faire valoir les droits :

  •  Sur un terrain d’accueil, un groupe de femmes s’est ainsi organisé en collectif (Da so vas) afin de dénoncer les conditions de vie imposées aux Gens du voyage;
  • L’association La Voix des Roms [6] accompagne les victimes et soutient des actions en justice pour lutter contre le non-recours massif au droit,
  • Le collectif Génération Panasiatique [7], récement créé, vise à lutter contre les discriminations et contribuer à rompre les préjugés et stéréotypes qui pèsent encore sur les populations d'origine asiatique en France.

Initiatives collectives et mobilisations des quartiers populaires

Dans de nombreux quartiers populaires, des collectifs d’habitantes et d’habitants s’organisent pour documenter et dénoncer les inégalités. Ces mobilisations locales jouent un rôle essentiel dans la mise en visibilité de réalités vécues et dans la construction de réponses collectives.

À Stains, un collectif de mères d’élèves a ainsi initié les États généraux de l’éducation, une rencontre ouverte destinée à partager les vécus d’inégalités scolaires, à interroger les pratiques institutionnelles et à formuler des propositions pour un accès équitable aux droits. De ce processus est né un documentaire appelé « Femmes politiques » [8] et réalisé par Daniel Bouy, qui retrace les questionnements et le cheminement de ce groupe de mères engagées dans la lutte contre les inégalités scolaires. Le film met en lumière les étapes de leur mobilisation : de l’expérience de l’injustice à la prise de conscience de leur pouvoir d’agir, jusqu’à la construction d’actions collectives.

Lundi 1 décembre 2025 - 14:15
Racisme [14]
Publié le 01 décembre 2025