Un contexte préoccupant et des chiffres éloquents
L'année 2024 a été marquée par une recrudescence historique des actes haineux, prolongeant une tendance observée fin 2023. Malgré l'adoption du Plan national de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine (PRADO) en janvier 2023, le rapport déplore un manque de suivi et une instabilité politique, notamment l'absence de réunion du comité de suivi du PRADO et une longue vacance à la tête de la DILCRAH (Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT). Le contexte international clivé, marqué par l'affirmation des nationalismes et des conflits armés, a également contribué à ce climat anxiogène.
Les données du ministère de l'Intérieur confirment cette situation préoccupante, avec un total de 3 144 faits à caractère raciste, antisémite, antimusulman ou xénophobe comptabilisés en 2024. Ces chiffres, stables par rapport à 2023 (3 139 faits), restent 92% plus élevés qu'en 2022.
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Faits antisémites :
1 570 faits antisémites ont été recensés en 2024, représentant 50% du total. Bien qu'en légère baisse par rapport au record de 2023 (1 676 actes), ce niveau reste très élevé, avec environ 130 actes antisémites par mois en moyenne. Le rapport souligne une augmentation de la violence de ces actes, incluant des agressions physiques, l'incendie d'une synagogue et un viol à caractère antisémite. Le conflit israélo-palestinien continue d'être un déclencheur majeur de ces incidents, qui augmentent également en milieu scolaire.
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Faits antimusulmans :
173 faits antimusulmans ont été enregistrés en 2024, soit une baisse de 29% par rapport à 2023 (242 faits). Cependant, le rapport met en lumière la difficulté de collecter des données précises, ce qui peut conduire à une sous-déclaration de ces incidents.
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Autres faits racistes et xénophobes :
Ces actes ont connu une hausse de 15% entre 2023 et 2024, atteignant 1 401 faits recensés en 2024. Globalement, les chiffres du racisme, de l'antisémitisme et de la xénophobie sont au plus haut depuis 2020.
L'impact insidieux du racisme quotidien sur la santé
Le rapport 2024 se concentre sur le "racisme au quotidien", un phénomène souvent sous-estimé et insidieux. Ce racisme diffus, se manifestant par des micro-agressions, des discriminations systémiques ou des stéréotypes persistants, a des répercussions profondes sur le bien-être psychologique et physique des victimes, générant stress, anxiété et des effets délétères sur leur santé. La CNCDH vise à sensibiliser l'opinion publique à ces réalités invisibilités.
Une société polarisée mais une résistance de la tolérance
Le Baromètre annuel de la CNCDH, conduit depuis 1990, mesure l'évolution des opinions envers les minorités religieuses et culturelles en France. En 2024, après deux années de recul, l'indice longitudinal de tolérance remonte légèrement, indiquant une résistance de la tolérance malgré le contexte délétère. L'étude des chercheurs associés à la CNCDH souligne une attente très forte de la société sur ces enjeux, avec une sensibilité croissante aux questions de discriminations.
Cependant, le rapport souligne que le sentiment anti-immigrés est fortement corrélé aux autres formes de haine. La haine est rarement limitée à une seule cible, et la lutte contre le racisme ne doit pas être divisée. Les cohortes les plus intolérantes n'ont plus de freins et souhaitent faire des démonstrations de force, d'où la violence des actes racistes.
Un "Chiffre Noir" alarmant : 97% des victimes ne portent pas plainte et une réponse judiciaire limitée
Le rapport met en évidence un "chiffre noir" important concernant les actes racistes, la plupart des incidents n'étant ni signalés ni enregistrés ni poursuivis. Seulement quelques milliers d'actes à caractère raciste sont recensés tous les ans par les services de l'État, alors que 1,2 million de personnes âgées de 14 ans et plus estiment avoir été victimes chaque année d'au moins une atteinte à caractère raciste, antisémite ou xénophobe. Or, 97% de ces victimes ne portent pas plainte, souvent par manque de confiance dans les institutions ou par peur de représailles.
La réponse judiciaire est également jugée défaillante. En 2023, malgré une explosion du nombre d'actes enregistrés par le ministère de l'Intérieur, le nombre d'affaires traitées par le ministère de la Justice reste très faible, avec seulement 5 infractions criminelles à caractère raciste ayant fait l'objet d'une condamnation.
Recommandations urgentes pour une action publique renforcée
Face à ce constat, la CNCDH formule une série de recommandations prioritaires adressées aux pouvoirs publics:
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Formation :
Insister sur la mise en œuvre des mesures du PRADO pour inciter les magistrats et les services d'enquête à suivre des formations sur les infractions racistes afin d'améliorer le taux de réponse pénale.
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Éducation :
Mettre en œuvre rapidement les objectifs du PRADO pour le ministère de l'Éducation nationale.
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Intersectionnalité des discriminations :
Encourager les magistrats à prendre en compte le croisement, le cumul et l'intersectionnalité des discriminations dans le prononcé des peines.
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Santé :
Mettre en place des formations obligatoires pour tous les personnels soignants et éducatifs sur le racisme et l'antisémitisme, et soutenir les études scientifiques pluridisciplinaires sur l'impact du racisme sur la santé physique et mentale.
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Soutien à la recherche :
Soutenir activement la recherche académique sur les actes racistes, antisémites, xénophobes et les discriminations, y compris les recherches-actions participatives.
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Coopération internationale :
Répondre rapidement aux demandes de visite du groupe de travail d'experts des Nations Unies sur les personnes d'ascendance africaine et du Mécanisme international d'experts indépendants sur la justice et l'égalité raciales dans le maintien de l'ordre.