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Confiance, contrôles et inégalités : Quelles relations entre la population et les forces de sécurité ?

Le 23 juin, le Défenseur des droits a publié les résultats du premier volet de l’enquête 2024 « Accès aux droits », intitulé Relations Police/Population. Quatre autres volets sont attendus d’ici 2026.

Ce travail s’inscrit dans la continuité de la première enquête menée en 2016 et se concentre sur la déontologie des forces de sécurité. Trois thématiques sont étudiées au prisme du vécu de la population : le contrôle d’identité, le dépôt de plainte ou d’une main courante, et le niveau de confiance accordé à l’institution policière.

Réalisée par l’institut de sondage Ipsos, en collaboration avec des experts, elle a été conduite entre octobre 2024 et janvier 2025 auprès de 5 030 personnes âgées de 18 à 79 ans, résidant en France métropolitaine.

Contrôles d'identité en hausse

L’enquête révèle l’augmentation de contrôles d’identité, passant de 16% en 2016 à 26% en 2024. Si cette hausse concerne toutes les catégories sociales et même les personnes perçues comme blanches, la nature et la fréquence des contrôles varient selon les profils.

Les jeunes homme perçus comme noirs, arabes ou maghrébins ont ainsi quatre fois plus de risques d’être contrôlés que le reste de la population, et douze fois plus de risque de faire l’objet d’un contrôle « poussé » (palpation, fouille, conduite au poste…). Ils sont également davantage exposés à des contrôles répétés. Selon le Défenseur des droits, ces écarts suggèrent l’existence de pratiques discriminatoires.

Contrôles d'identité à caractère répétitif

Ces constats sont corroborés par la recherche de Magda Boutros et Aline Daillère sur la gestion policière des personnes perçues comme « indésirables » en région parisienne. L’étude met en évidence l’usage de contrôles d’identité répétés (c-à-d, effectués plusieurs fois sur une même personne) dans le cadre d’une politique d’éviction de certains groupes de l’espace public.

« […] les résultats de l’étude montrent que l’objectif d’ "éviction d’indésirables" de l’espace public cible une population précise : des jeunes hommes précaires issus de l’immigration post coloniale, principalement subsaharienne, occupant collectivement l’espace public à proximité immédiate de leur domicile. »

Défenseur des droits

Selon les autrices, ces instructions ne reposent sur aucun fondement juridique. Ni le terme « éviction » ni celui d’« indésirables » n’apparaissent dans le Code de procédure pénale, et la loi interdit toute discrimination fondée sur l’origine, du lieu de résidence ou de la situation économique.

Pourtant, le terme « indésirables » continue d’être utilisé de manière formelle par la police nationale, puisqu’il figure parmi les catégories disponibles dans le logiciel de main courante informatisée. C’est pourquoi Mme Hédon, Défenseure des droits, a demandé « au minimum de retirer cette catégorie du logiciel » lors de l’ouverture du colloque Amendes, évictions, contrôles. La gestion des "indésirables" par la police en région parisienne, tenu le 21 mai à Sciences Po.

Dépôt de plainte : des inégalités de traitement? 

Le dépôt de plainte et de main courante sont deux situations récurrentes d’interaction entre la police et la population. Selon l’enquête de 2024, une personne interrogée sur trois a eu recours à un dépôt de plainte ou à une main courante au cours des cinq années précédant l’enquête. Une personne sur cinq s’est vu refuser un dépôt de plainte ou main courante, et 10 % des enquêtés déclarent avoir subi des comportements non professionnels.

Les facteurs augmentant le risque de se voir refuser un dépôt de plainte

  • Être en situation de handicap ;

  • Porter un signe religieux ;

  • Être au chômage ;

  • Habiter dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) ;

  • Être perçu comme une personne noire, arabe ou maghrébine.

+ de risque de comportements non appropriés

À la différence du contrôle d’identité, la présence d’un handicap double (augmentation de 100 %) le risque de subir des comportements non professionnels lors d’un dépôt de plainte ou d’une main courante.

Avoir entre 18 et 24 ans et être perçu comme une personne non blanche augmente de 80 % le risque de faire l’objet de comportements inappropriés de la part des forces de sécurité dans ce contexte.

Ces chiffres démontrent les obstacles auxquels certaines personnes sont confrontées lors qu’elles se rendent au commissariat de police ou en gendarmerie.

Comment ces deux contextes d’interaction impactent les relations population/police?

Afin de mesurer le niveau de confiance de la population envers les forces de sécurité, l’étude s’est intéressé au ressenti des enquêtés face à leur présence dans la rue :

  • 50% des personnes enquêtées se sentent en sécurité; 
  • 28% se dit indifférente ;
  • 22% déclare se sentir méfiante ou inquiète.

L'enquête suggère une corrélation entre le vécu des personnes lors des deux interactions (contrôle d'identité et dépôt de plainte) et la confiance accordée à l'institution.

51% des personnes ayant déclaré se sentir en sécurité en présence d'un·e agent de sécurité , ont également déclaré avoir bien vécu le contrôle d'identié ou avoir pu aboutir leur dépôt de plainte/main courante. 

Cette même dynamique est constatée chez les personnes qui ont déclaré avoir vécu des discriminations lors d’un contrôle de police ou un comportement inapproprié au dépôt de plainte. Dans ce cas, les tensions risquent d'aggraver les interactions et peuvent impacter sur le travail des forces de sécurité

De plus, 21% des personnes déclarant se méfier ou être inquiètes en présence des forces de sécurité,  ne fait pas appel à la police ou la gendarmerie lorsqu’elles (ou leurs proches) ont été victimes de discrimination ou harcèlement.

Ces résultats font écho à d’autres travaux et recherches récents sur le sujet, notamment à l’étude intitulée Amendes, évictions, contrôles. La gestion des "indésirables" par la police en région parisienne, menée par les sociologues Magda Boutros et Aline Daillère. On peut également citer le dernier numéro des Cahiers de la LCD, qui consacre un article à la question des discriminations et inégalités liées aux contrôles « au faciès » visant les jeunes habitant les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Cet article intitulé Politique de la ville :un pis-aller face à la persistance du problème des contrôles au faciès?  écrit par L. Hollo et M. Matari, s’interroge sur l’impact que ces actions peuvent avoir sur les jeunes issus des quartiers prioritaire de la politique de la ville, où la population âgée de moins de 25ans est proportionnellement plus élevée que dans le reste du territoire. Ces quartiers sont également composés davantage de jeunes issus de l’immigration ou nés à l’étranger en comparaison au reste de la France Métropolitaine. Les jeunes qui y vivent sont particulièrement exposés à des contrôles ciblés et souvent injustifiés. Cette situation soulève des questionnements quant à l'efficacité des contrôles répétés et invite à une réflexion collective sur les moyens de rétablir la confiance entre les institutions et les populations concernées.

Quelques recommandations de la Défenseure des droits 

  • Assurer la traçabilité des contrôles d’identité par tous moyens
  • Renforcer la formation initiale et continue des forces de sécurité. 
  • Mieux encadrer les pratiques de contrôle, via une doctrine claire et des retours d’expérience. 
  • Garantir l’effectivité des recours, y compris en facilitant l’accès aux preuves (caméras-piétons, rapports). 
  • Valoriser la mission d’accueil en commissariat et gendarmerie, en particulier pour les publics vulnérables. 

Pour aller plus loin, découvrez le dernier numéro des cahiers de la LCD , n°20 - Politique de la ville et lutte contre les discriminations 

Publié le 25 juin 2025